Théorie des Contraintes 101:

Article 104 – Équilibrez le Flux, Pas la Capacité

Dans l’article précédent, je raconte comment Eliyahu Goldratt a présenté le Temps comme un nouveau mécanisme pour limiter le travail en cours, en utilisant une nouvelle méthode de sa conception, appelée Drum-Buffer-Rope (DBR) – Tambour-Tampon-Corde (TTC).

Penchons-nous donc sur la manière dont le DBR se propose de réparer la situation que nous avions laissée à la fin de l’article 102:

Tout le Monde est Occupé à Travailler
Tout le Monde est Occupé à Travailler

Comme vous vous en souvenez, le rouge indique que tout le monde dans l’entreprise est surchargé et surmené. Plus le service Ingénierie (qui est le goulot de ce système) reçoit du travail en provenance de tout le monde, moins les ingénieurs ont de temps pour concrètement faire les choses. Moins ils produisent, plus les nouveaux projets commencés par tous les autres «en attendant» sont nombreux, envoyant ainsi encore plus de travail au goulot, dans un cercle vicieux.

La question à laquelle DBR cherche à répondre est: «Comment devons-nous opérer le système pour atteindre son débit maximal ?»

Faisons une analogie: imaginez une autoroute vide dont nous essayons de maximiser le flux. A chaque voiture supplémentaire ajoutée, le débit augmente, puisque toutes les voitures peuvent circuler à la même vitesse sans se ralentir les unes les autres:

Débit = 10 Voitures
Débit = 10 Voitures

Mais cela ne fonctionne que jusqu’à un certain point. Au bout d’un moment, les voitures entrantes vont commencer à interagir et à se ralentir les unes les autres. Le débit atteindra un pic, puis chutera rapidement. Peut-être avez-vous remarqué ce point de bascule en conduisant sur l’autoroute – toutes les voitures sont espacées uniformément et s’écoulent à un bon rythme, puis surgie de nulle part, une poignée d’autres plonge le système en déséquilibre, et le trafic s’enraye:

Trop de Voitures Entrantes = Embouteillage
Trop de Voitures Entrantes = Embouteillage

Notre question est donc la suivante: «Quel est le nombre optimal de voitures à autoriser sur l’autoroute, pour atteindre son flux maximal ?»

Vue d’en haut comme ceci, la réponse semble évidente:

Pic de Circulation Fluide = Capacité du Goulot
Pic de Circulation Fluide = Capacité du Goulot

Le nombre optimal de voitures entrantes est égal à celui que le tronçon le plus étroit et le plus lent de l’autoroute, peut laisser passer de façon régulière.

DBR est conçu pour assurer ce nombre optimal: la cadence de traitement du goulot est le «Tambour» qui bat la mesure du rythme auquel le système tout entier devrait travailler (tel le batteur d’une harmonie à pied, qui aide l’ensemble du groupe à conserver une marche synchronisée). La «Corde» est le signal qui «tire» un nouvel objet de travail dans le tuyau, seulement lorsqu’un objet est traité par le goulot (elle tient le même rôle que celui joué précédemment par les tapis roulants de Ford, puis par les cartes kanban de Ohno).

Le Tambour et La Corde
Le Tambour et La Corde

Il reste un dernier élément à ajouter, et c’est le «Tampon». Les tampons en général sont un élément important de nombreux systèmes: la paroi d’une cellule est un tampon contre l’environnement extérieur; les amortisseurs d’une voiture sont un tampon contre les bosses de la route; les 2 heures que vous vous donnez pour arriver à l’aéroport sont un tampon contre les retards imprévus en chemin. Toute partie d’un système qui a besoin d’être protégée contre l’incertitude, les variations, ou les perturbations d’un environnement, tout en continuant d’interagir avec cet environnement, nécessite une certaine forme de tampon.

Dans le domaine de la production manufacturière, la nécessité d’un tampon devient évidente lorsque l’on se souvient que la capacité de l’ensemble d’un système est égale à la capacité de son goulot. En effet, cela signifie que lorsqu’une machine en panne (ou une personne salariée en congé maladie) est située au goulot, son «coût» dépasse le temps perdu à ce seul poste de travail. C’est le taux de carburation – ou indice d’octane – de L’ENSEMBLE DE L’ENTREPRISE qui est compromis. La moindre minute perdue au goulot doit être considérée comme une minute perdue pour L’ENSEMBLE DU SYSTÈME.

Par conséquent, nous devons nous assurer que le goulot ne tourne jamais à vide et ce, quelle qu’en soit la raison. La seule façon d’y parvenir est de stocker du travail en cours dans une file d’attente alimentant l’entrée du goulot, de sorte qu’il aura toujours du grain à moudre, même si le flux venait à être temporairement interrompu en amont.

C’est précisément la finalité du Tampon – protéger le goulot contre les perturbations dans le flux de travail amont, aplanir les variations et prélever des tranches de travail de la file d’attente, selon la quantité et la vitesse précisément requises pour une efficacité maximale:

Le Tambour, La Corde et Le Tampon
Le Tambour, La Corde et Le Tampon

La mise en oeuvre des principes du flux requiert l’adoption d’une certaine philosophie de gestion, à savoir:

«Aucune entreprise ne devrait prendre plus de travail que son goulot ne peut traiter.»

Le rôle du management est de déterminer la capacité du goulot, de la remplir, puis de refuser tout lancement de nouveau projet avant que l’un des projets en cours ne soit terminé.

En d’autres termes:

«Pour exploiter pleinement une partie donnée d’un système (le goulot), toutes les autres parties doivent être surcapacitaires.»

Ceci est en contradiction directe avec la règle universelle du lieu de travail moderne: «Restez Tous Occupés», autrement dite «Utilisez Toute la Capacité Disponible».

C’est la raison pour laquelle Goldratt a désigné cette maxime de surcapacité comme représentant probablement, à elle seule, le plus important changement de paradigme requis de la part du management pour adopter la Théorie des Contraintes.

La Capacité Prétendument «Sous-Exploitée»
La Capacité Prétendument «Sous-Exploitée»

La conséquence de l’ignorance de ces principes est familière à de nombreuses organisations. Si une personne révèle ou même suggère qu’elle n’a pas assez de choses à faire, nous lui TROUVONS quelque chose à faire. Si nous ne trouvons rien à lui faire faire, nous nous en séparons. Donc, bien sûr, personne n’a jamais «rien à faire». Toute capacité excédentaire qui pourrait se créer est cachée, masquée dans le brouillard du travail de remplissage, la nature ayant horreur du vide. Et ensuite, lorsqu’une véritable opportunité de travail à valeur ajoutée se manifeste, tout le monde est «occupé».

En voyant le personnel à court de temps, la direction en conclut que le problème doit relever d’un «manque de capacité» et embauche encore plus de personnes, qui finissent par faire encore plus de travail de remplissage. A défaut de comprendre la cause racine du problème, ces nouvelles recrues ne font qu’aggraver le problème, manifestant ainsi la loi de Brooks:

«Ajouter des personnes à un projet en retard, ne fait que le ralentir.»

Ironiquement, c’est en empêchant les personnes d’être surcapacitaires que l’entreprise se retrouve avec considérablement plus de capacité excédentaire que jamais.

La puissance du DBR est qu’il ne s’embarrasse pas de graphiques complexes, ne repose pas sur une surveillance systématique, ni ne détaille précisément la manière dont le travail doit être effectué. Au lieu de cela, il se concentre sur la dynamique du système – en actionnant 3 leviers temporels et leurs boucles de rétroaction – afin d’équilibrer le flux, plutôt que la capacité.

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